Homo plasticus


Il fut un temps, un temps si lointain que même l’habitant le plus âgé de notre planète n’a point de souvenir que ses grands parents lui en aient parlé, l’homme était fait de chair et d’os.

Les os constituaient la structure solide autour de laquelle la chair sculptait des fonctionnalités diverses.

Lors de sa naissance, la chair de chaque nouveau né était molle et la peau qui la recouvrait était d’une telle douceur qu’elle attirait  irrésistiblement les caresses. Plus tard à l’époque de la jeunesse les chairs devenaient fermes et prenaient des formes propices à la séduction du sexe opposé. Au fil du temps, la chair perdait peu à peu sa élasticité en s’asséchant jusqu’à se transformer en une peau dure  recouvrant le squelette.

Pendant des milliers d’années, cette évolution parut normale aux yeux de tous ceux qui naissaient et mouraient sur la surface de la Terre.  Et cet état de choses aurait sans doute continué éternellement si un jour les gens ne se mirent pas à vouloir ardemment la jeunesse éternelle à une époque où cela devenait justement possible.

Grâce à des implants  et à l’ingestion de pilules et d’aliments modifiés, les chairs restaient fermes et gardaient leur plasticité bien plus longtemps que celle prévue par la nature, de telle sorte que les gens atteignaient un âge avancé et même mouraient  tout en conservant  une apparence jeune.

Au début, on crut  à l’innocuité de ces procédés. Un savant oriental osa objecter qu’il n’était pas impossible que  ces changements  n’affectassent non seulement le corps mais également l’âme mais les rares personnes qui se donnèrent la peine de l’écouter se moquèrent de lui.

Ce fut d’abord imperceptible mais avec le temps il devint de plus en plus clair que les visages qui avaient été injectés avec du plastique acquéraient une dureté d’expression qui se reflétait ensuite en actes.  Les yeux, même les plus beaux, se figeaient en une expression sans profondeur qui n’était rien d’autre que le reflet d’une âme vide.  Dans les premiers temps, heureusement, tous ne voulurent pas  être plastifiés.  Il y eut des groupes de gens qui s’opposaient ouvertement  et qui fondèrent des colonies isolées où on pouvait encore se nourrir avec les fruits de la Terre.  Ils créèrent ainsi des foyers de résistance contre l’avancée de la plastification.

Mais le processus devint inéluctable le jour où naquit le premier bébé en plastique.  Un homme et une femme -  au corps parfaits  et sans rides – apparurent à la télévision et annoncèrent orgueilleusement au monde entier que leur enfant était en plastique  et de ce fait, ne pleurait pas.

Il ne se plaignait pas d’avoir faim car il ne la ressentait  pas.  Il ne ressentait rien d’ailleurs, pas la moindre sensation, pas la moindre émotion. Du moment qu’on le nourrissait avec des pastilles, il grandissait et se développait  jusqu’à devenir un adulte  en plastique, un être obéissant et insensible, et parfaitement adapté à la société dans laquelle il était appelé à vivre.

Apres lui, naquirent beaucoup d’autres enfants comme lui qui peu à peu remplacèrent les êtres de chair et d’os qui avec  le temps disparurent.

Actuellement, tout le monde est en plastique et plus personne ne se souvient du sens des mots tel qu’amour, joie, tristesse… sans même parler des émotions plus complexes ou subtiles comme la compassion, l’empathie ou  la nostalgie.
Chacune des cellules de l’espèce unique qui survécut sur la Terre  possède la  spongiosité grisâtre et compacte d’un  carcinome.  Les gens sont  parfaitement laids et plus durs que la pierre mais personne n’en souffre  car plus personne ne se souvient de ce que cela veut dire.

Traduit de l’espagnol par Jonathan Eden-Drummond

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